Nous avions passé la journée à Wansee à savourer la quiétude des bois. Les lacs et les oiseaux nous avaient entouré durant des heures. L'été allemand nous berçait de sa douceur. Nous étions jeunes, adolescents. A la nuit tombante, de retour à Berlin j'avais tant aimé son baiser. Elle m'avait souri avec une tendresse mi complice mi amusée. Nous étions confiants en nous disant que l'Europe était décidément si belle. Si chaude. Si prometteuse.
C'était il y a 21 ans.
Deux décennies suffisent à détruire les beaux rêves. Parfois moins.
Je n'étais pas né que le 4 mai 1980 s'éteignait le Maréchal TITO. La Yougoslavie, je ne l'ai connue qu'à la télé. Bien avant cet été berlinois j'y ai vu tant de meurtres au JT. Le rêve titiste aura mis dix années à disparaitre. Balayé paradoxalement par la chute d'une Union Soviétique de laquelle il s'était démarquée très tôt. Ce rêve ne fut pas que fugace pourtant. Au point qu'un jour, en 1999 je crois, j'ai entendu un Président d'une Cour d'Assises s'emporter devant le détenu qui comparaissait devant lui. Cet homme, yougoslave, avait tué l'amant de sa femme. Du grand classique en droit pénal. Il dépeignait sa jeunesse, se lamentait sur son passé, enfant, en Yougoslavie. Le Président de la Cour s'était alors levé, tourné vers cet encore présumé innocent, et loin de garder son sang froid s'était écrié: "Mais enfin Monsieur, vous avez été scolarisé, et gratuitement, c'était encore les grandes années du Maréchal Tito". Stupeur sur les bancs.
Mardi dernier, Emmanuel MACRON a tenu un beau discours. Sur l'Europe. Un discours sur l'UE cela se fait rare. Un beau discours, encore plus. C'était comme une renaissance d'une idée, d'un concept, d'un rêve. Mitterrand et Kohl ont sans doute frémi en l'entendant. Sûrs qu'ils se sont pris les mains, comme à Douaumont en 1984. Peut-être aussi qu'ils ont laissé échapper une larme. En se disant que le beau rêve prend forme. Enfin.
On a parfois l'impression que les déchéances arrivent avec certains. Comme s'il fallait des pantins pour enterrer ce que d'autres ont patiemment forgé.
Mariano Rajoy ressemble à cela. Un type qui arrive quand on ne l'attend pas,qui joue un rôle qu'il ne comprend pas lui même. Mais qu'il joue à fond, jusqu'au bout. Et qui regarderait le ciel étoilé, les yeux levés au ciel pendant qu'autour de lui les murs du palais s'effondrent.
Hier soir j'ai compris que tout était fini.
Le rêve européen ne sera finalement mort ni à Srebrenica sous les cadavres fumants de milliers de civils musulmans, ni sur les barbelés hongrois de Monsieur Horban. Mais bien à Barcelone.
La Catalogne ce dimanche a tué Europe. Elle a ouvert une boite de Pandore bien plus dévastatrice. Après elle viendront les Ecossais, les Flamands, les Corses, et pourquoi pas les Etats de Béarn, de Lorraine ou de Bavière...
Le tragique est sans doute là. Emmanuel MACRON arrive bien tard. Sans doute trop tard. Hier soir, Barcelone a enterré le rêve européen des Grandes Nations forgées aux Traités de Westphalie et de Vienne. Et nous n'avons plus de Philippe IV ni de Talleyrand pour sauver l'essentiel. L'équilibre des grands Etats.
L'enterrement d'Europe peut commencer.