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6 janvier 2017 5 06 /01 /janvier /2017 15:09

Il fallait bien que je finisse par le lire ce pestiféré de Lucien REBATET. Pensez-donc que pendant 4 ans, à l'IEP de Toulouse dont on ne peut douter qu'il soit à gauche, on m'a rabâché les oreilles avec ce type. Ni le libéral Tocqueville, ni Arendt, ni Sartre. Pas besoin, ceux-là on les lisait déjà bien sûr. Non REBATET. Lucien de son prénom.

 

 

 

 

Des profs de gauche pourtant ! Eh bien ils n'arrêtaient pas de nous le dire, et redire: "lisez Rebatet ! C'est un génie littéraire !". L'écrivain classé comme le plus nazi des plumes françaises pourtant..

Même moi qui ait lu à peu près tout ce que la France compte d'écrivains des années 30-40, je n'avais jamais ouvert un livre de Lucien. Faute de temps, et parce que les Céline, Maurras, Drieu étaient déjà dans la bibliothèque. Le lecteur aussi curieux soit-il est parfois paresseux...

Alors l'autre jour, en plein décembre, dépité de ne pas savoir choisir entre le provençal GIONO ("Un de Baumugnes") et le sulfureux Buisson qu'on venait de m'offrir, je me suis dit que le moment était venu. Les Editions PAUVERT, plutôt très réputées mais pour des oeuvres licencieuses et osées, avaient publié en 1974, ou plutôt réédité "LES DECOMBRES". Et un oncle de ma femme l'avait déniché dans une brocante avant de me le refiler. Deux ans que l'ouvrage et ses 600 pages patientaient dans le salon, coincé entre BARBEY D'AUREVILLY et Patrick MODIANO, deux de mes deux auteurs fétiches.

On m'avait décrit "LES DECOMBRES" comme empli d'antisémitisme...moi qui ait renoncé au bout de 10 pages d'un MAURRAS, agacé par son délire sur "les Juifs", je dois bien rappeler ici que, certes, l'antisémitisme de REBATET est indéniable, mais pas plus prégnant, voire bien moins qu'on ne le trouve chez tant d'autres. On trouverait bien plus d'attaques contre les "Juifs" chez certains "grands philosophes" ou "grands penseurs" des siècles de l'Ancien Régime !

Finalement, que retenir de ces 600 pages ?

L'intérêt de ces écrits français de la fin des années 30 repose souvent sur l'analyse, le ressenti, le vécu de la fameuse "débâcle", précédée de "la drôle de guerre". Ces longs mois d'attente qui courent de septembre 39 à mai 40, puis les semaines de folie, d'exode, où la déferlante allemande renvoie Maginot à ses délires et amène la France au bord de son propre précipice. Où Marianne observe à ses pieds le vide sidéral où son aveuglement et politique, et militaire l'ont amenée: devant un champ de ruines et d'insignifiance, écrasée par la démesure totalitaire du Reich d'Hitler.

2016 avait été l'année de lecture de Marc BLOCH, auteur du réputé "L'Etrange Défaite" (1940). J'avais peu apprécié le style. Trop empreint d'un ton professoral. Sans style propre. Quant à son analyse de la débâcle de 40: mon grand-père me l'avait cent fois racontée. Rien de neuf donc. Impression de ressassement. Déception littéraire au final. On peut avoir été un grand historien et résistant et demeurer un narrateur sans envergure.

Avec REBATET je pensais donc découvrir d'autres cieux sous lesquels la décrypter, cette débâcle. Trouver une autre perspective, celle d'un angle plus nationaliste que BLOCH n'aurait pu l'avoir. Moins critique sur la France. Que nenni. La "divine surprise" si j'ose, c'est bien que ni Marc BLOCH ni Lucien REBATET ne varient. Certes, le dernier y voit la main des "Juifs" parfois. Mais pas tant.

On dirait ainsi le regard de gauche de BLOCH et celui de droite de REBATET composant un même visage. Dépité et accablé par le même paysage. Raillant les mêmes lâchetés. Ne faisant qu'un.

La débâcle est d'autant plus débâcle si, ainsi, les lettres françaises se retrouvent unanimes à la juger. Leçon d'histoire à méditer...

Alors, me direz-vous, qu'attendre de plus de cet ouvrage ? Eh bien pas grand chose en vérité. Juste un chapitre ou deux. Mais quels chapitres ! A eux deux, ils mériteraient un livre entier. Séparément, une analyse par 10 étudiants !

"MAURRAS comme on ne l'a jamais vu": voilà le premier intérêt. En un chapitre, REBATET nous dépeint l'homme. Le théoricien du "nationalisme intégral" comme on ne l'a jamais imaginé. La nuit, dans les locaux de son journal l'Action Française. La vision de cet homme qui, il faut bien le reconnaitre, fut l'un des plus grands intellectuels du début du XXème siècle français, est une anthologie historique en quelques pages. Jamais le provençal barbu n'est ainsi apparu dans aucun autre témoignage. REBATET n'y vas pas par le dos de la cuillère au demeurant. Cinglant dans le style, vitupérant contre la paresse de l'écrivain, sa quasi folie à ne rien structurer dans ses écrits, son goût pour la Grèce antique qu'il ressort à toutes les sauces, même lorsque Berlin ou Dantzig rappellent qu'Athènes est morte et l'Olympe désormais à Berchtesgaden.

Et puis il y a la fin de ces fameuses "DECOMBRES". Même Marcel OPHULS qui initia magistralement le retour de la mémoire en France sur ses heures noires ("Le Chagrin et la Pitié) fléchirait devant les dernières pages !

REBATET s'y livre. Un peu. Mais il nous livre surtout la première peinture du premier Vichy. Pas celui des heures les plus sombres, quand LAVAL revient par la grâce des Allemands et que de la Zone Sud il ne reste que la mémoire illusoire des premiers temps. Ce n'est pas non plus le Vichy à l'agonie, emporté dans les bagages du Reich décrépi, faisant croire au mirage de l'autre côté du Rhin, tout là-bas à SIGMARINGEN. C'est le Vichy des premiers temps, des premiers Hommes. Quand à peine signée l'Armistice, nombreux sont ceux encore qui hésitent, et croient voir en PETAIN la "résistance intérieure" et en DE GAULLE le bras armé qui frappera, coordonné. Cette alliance du vieux maréchal et du jeune colonel, elle fut avancée par certains pour expliquer "leur" Vichy. Longtemps je n'y ai vu qu'un mythe, une échappatoire de faux résistants pour justifier leurs hésitations. Raymon ARON et d'autres l'avaient cependant affirmé, un temps.

Et pourtant, dans "LES DECOMBRES" c'est ainsi que l'on nous dépeint la vie quotidienne à Vichy entre l'été 40 et le printemps 41. REBATET n'a de cesse de cibler tel ministre ou tel haut fonctionnaire qui travaillerait pour DE GAULLE. Mais surtout, au delà de ce qui pourrait ressembler à un mensonge fourni par les nostalgiques de PETAIN, il recense un certain nombre de mesures, décisions, qui semblent étayer cette thèse d'un Vichy plus nationaliste qu'on ne l'a dit, moins germanique qu'on ne le dépeint aujourd'hui. Si tel est le cas, alors il faudra de nouveau se pencher sur ce régime et ses sbires. Ecrit en 41, on ne peut en effet pas soupçonner REBATET d'avoir revu son oeuvre pour échapper à ses juges après la Libération. La thèse de ARON serait ainsi loin d'être annihilée par celle de PAXTON...et ce serait les 40 dernières années des débats sur l'histoire de Vichy qui s'en trouveraient relancées...qui plus est par un témoin de premier choix !

 

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Published by Manolito